法语阅读:Amant 情人-杜拉斯(2)
Il l'accompagne à la pension dans la limousine noire. Il s'arrête un peu avant l'entrée pour qu'on ne le voie pas. C'est la nuit. Elle descend, elle court, elle ne se retourne pas sur lui. Dès le portail passé elle voit que la grande cour de récréation est encore éclairée. Dès qu'elle débouche du couloir elle la voit, elle, qui l'attendait, déjà inquiète, droite, sans sourire aucun. Elle lui demande: où étais-tu? Elle dit: je ne suis pas rentrée dormir. , Elle ne dit pas pourquoi et Hélène Lagonelle ne le lui demande pas. Elle enlève le chapeau rose et défait ses nattes pour la nuit. Tu n'es pas allée au lycée non plus. Non plus. Hélène dit qu'ils ont téléphoné, c'est comme ?a qu'elle le sait, qu'il lui faut aller voir la surveillante générale. Il y a beaucoup de jeunes filles dans l'ombre de la-cour. Elles sont toutes en blanc. Il y a des grandes lampes dans les arbres. Certaines salles d'études sont encore éclairées. Il y a des élèves qui travail-lent encore, d'autres qui restent dans les classes pour bavar-der, ou jouer aux cartes, ou chanter. Il n'y a pas d'horaire pour le coucher des élèves, la chaleur est telle pendant le jour, on laisse courir le soir un peu comme on veut, comme les jeunes surveillantes veulent. Nous sommes les seules blanches de la pension d'Etat. Il y a beaucoup de métisses, la plupart ont été abandonnées par leur père, soldat ou marin ou petit fonctionnaire des douanes, des postes, des travaux publics. La plupart viennent de l'Assistance publique. Il y a quelques quarteronnes aussi. Ce que croit Hélène Lago-nelle c'est que le gouvernement fran?ais les élève pour en faire des infirmières dans les h?pitaux ou bien des surveil-lantes dans les orphelinats, les léproseries, les h?pitaux psychiatriques. Hélène Lagonelle croit qu'on les envoie aussi dans les lazarets de cholériques et de pestiférés. C'est ce que croit Hélène Lagonelle et elle pleure parce qu'elle ne veut d'aucun de ces postes-là, elle parle toujours de se sauver de la pension.
Je suis allée voir la surveillante de service, c'est une jeune femme métisse elle aussi qui nous regarde beaucoup Hélène et moi. Elle dit: vous n'êtes pas allée au lycée et vous n'avez pas dormi ici cette nuit, nous allons être obligés de prévenir votre mère. Je lui dis que je n'ai pas pu faire autrement mais qu'à partir de ce soir, dorénavant, j'essaierai de revenir chaque soir dormir à la pension, que ce n'est pas-la peine de prévenir ma mère. . La jeune surveillante me regarde et me sourit.
Je recommencerai. Ma mère sera prévenue. Elle viendra voir la directrice du pensionnat et elle lui deman-dera de me laisser libre -le soir, de ne pas contr?ler les heures. auxquelles je rentre, de ne pas me forcer non plus à aller en promenade le dimanche avec les pensionnaires. Elle dit:c'est une enfant qui a toujours été libre, sans ?a elle se sau-verait, moi-même sa mère je ne peux rien contre ?a, si je veux la garder je dois la laisser libre. La directrice a ac-cepté parce que je suis blanche et que, pour la réputation du pensionnat, dans la masse des métisses il faut quelques. blanches. Ma mère a dit aussi que je travaillais bien au lycée tout en étant aussi libre et que ce qui lui était arrivé avec ses fils était si terrible, si grave, que les études de la petite c'était le seul espoir qui lui restait.
La directrice m'a laissée habiter le pensionnat comme un h?tel.
Bient?t j'aurai un diamant au doigt des fian?ailles. Alors les surveillantes ne me feront plus de remarques. On se doutera bien que je ne suis pas fiancée, mais le diamant vaut très cher, personne ne doutera qu'il est vrai et personne ne dira plus rien à cause de ce prix du diamant qu'on a donné à la très jeune fille.
Je reviens près d'Hélène Lagonelle. Elle est allongée sur un banc et elle pleure parce qu'elle croit que je vais quit-ter le pensionnat. Je m'assieds sur le banc. Je suis ex-ténuée par la beauté du corps d'Hélène Lagonelle allongée contre le mien. Ce corps est sublime, libre sous la robe, à pointée de la main. Les seins sont comme je n'en ai jamais vus. Je ne les ai jamais touchés. Elle est impudique, Hélène Lagonelle, elle ne se rend pas compte, elle se promène toute nue dans les dortoirs. Ce qu'il y a de plus beau, de toutes les choses données par Dieu, c'est ce corps d'Hélène Lago-nelle, incomparable, cet équilibre entre la stature et la fa?on dont le corps porte les seins, en dehors de lui, comme des choses séparées. Rien n'est plus extraordinaire que cette ro-tondité extérieure dès seins portés, cette extériorité tendue vers les mains. Même le corps de petit coolie de mon petit frère dispara?t face à cette splendeur. Les corps des hom-mes ont des formes avares, internées. Elles ne s'ab?ment pas non plus comme celles d'Hélène Lagonelle qui, elles, ne durent jamais, un été peut-être à bien compter, c'est tout. Elle vient des hauts plateaux de Dalat, Hélène Lagoneile. Son père est un fonctionnaire des postes. Elle est arrivée ?en pleine année scolaire il y a peu de temps. Elle a peur, elle se met à c?té de vous, elle reste là à ne rien dire, souvent à pleurer. Elle a le teint rose et brun de la montagne, on le reconna?t toujours ici où tous les enfants ont la paleur verdatre de l'anémie, de la chaleur torride. Hélène Lagonelle ne va pas au lycée. Elle ne sait pas aller à l'école, Hélène L. Elle n'apprend pas, elle ne retient pas. Elle fréquente les cours primaires de la pension mais ?a ne sert à rien. Elle pleure contre mon corps, et je caresse ses cheveux, ses mains, je lui dis que je resterai avec elle au pensionnat. Elle ne sait pas qu'elle est très belle, Hélène L. Ses parents ne savent pas quoi en faire, ils cherchent à la marier au plus vite. Elle trouverait tous les fiancés qu'elle veut, Hélène Lagonelle, mais elle ne les veut pas, elle ne veut pas se marier, elle veut retourner avec sa mère. Elle. Hélène L. Hélène Lagonelle. Elle fera finalement ce que sa mère voudra. Elle est beaucoup plus belle que moi, que celle-ci au chapeau de clown, chaussée de lamé, infiniment plus mariable qu'elle, Hélène Lagonelle, elle, on peut la marier, l'établir dans la conjugalité, l'effrayer, lui expliquer ce qui lui fait peur et qu'elle ne comprend pas, lui ordonner de rester là, d'attendre.
Hélène Lagonelle, elle, elle ne sait pas encore ce que je sais. Elle, elle a pourtant dix-sept ans. C'est comme si je le devinais, elle ne saura jamais ce que je sais.
Le corps d'Hélène Lagonelle est lourd, encore innocent, la douceur de sa peau est telle, celle de certains fruits, elle est au bord de ne pas être per?ue, illusoire un peu, c'est trop. Hélène Lagonelle donne envie de la tuer, elle fait se lever le songe merveilleux de la mettre à mort de ses propres mains. Ces formes de fleur de farine, elle les porte sans savoir aucun. elle montre ces choses pour les mains les pétrir,-pour la bouche les manger, sans les retenir, sans connaissance d'elles, sans connaissance non plus de leur fabuleux pouvoir. . .
Je la vois comme étant de la même chair que cet homme de Cholen mais dans un présent irradiant, solaire, innocent, dans une éclosion répétée d'elle-même, à chaque geste, à chaque larme, à chacune de ses failles, à chacune de ses ignorances. Hélène Lagonelle, elle est la femme de cet hom-me de peine qui me fait la jouissance si abstraite, si dure, cet homme obscur de Cholen, de la Chine. Hélènu Lago-neHe est de la Chine.
Je n'ai pas oublié Hélène Lagonelle. Je n'ai pas oublié cet homme de .peine. Lorsque je suis partie, lorsque je l'ai quitté, je suis restée deux ans sans m'approcher d'aucun les vols. Quand je le reverrai je ne lui en parlerai pas, la . honte est si grande pour lui, je ne le pourrai pas. Après le faux testament, le faux chateau Louis XIV est vendu pour une bouchée de pain. La vente a été truquée, comme le testament.
Après la mort de ma mère il est seul. Il n'a pas d'amis, il n'a jamais eu d'amis, il a eu quelquefois des femmes qu'il faisait ?travailler? à Montparnasse, quelquefois des femmes qu'il ne faisait pas travailler, au début tout au moins, quel-quefois des hommes mais qui, eux, le payaient. Il vivait dans une grande solitude. Celle-ci s'est accrue avec la vieil-lesse. C'était seulement un voyou, ses causes étaient min-ces. Il a fait peur autour de lui, pas au-delà. Avec nous il a perdu son véritable empire. Ce n'était pas un gangster, c'était un voyou de famille, un fouilleur d'armoires, un as-sassin sans armes. Il ne se compromettait pas. Les voyous vivent ainsi qu'il vivait, sans solidarité, sans grandeur, dans la peur. Il avait peur. Après la mort de ma mère il mène une existence étrange. A Tours. Il ne conna?t que les gar-?ons de café pour les ?tuyaux? des courses et la clientèle vineuse des pockers d'arrière-salle. Il commence à leur ressembler, il boit beaucoup, il attrape les yeux injectés, la bouche torve. A Tours, il n'a plus rien. Les deux pro-priétés liquidées, plus rien. Pendant un an il habite un .garde-meuble loué par ma mère. Il dort pendant un an dans un fauteuil. On veut bien le laisser entrer. Rester là un an. Et puis il est mis dehors.
Pendant un an il a d? espérer racheter sa propriété hypothéquée. Il a joué un à un les meubles de ma mère au garde-meuble, les bouddhas de bronze, les cuivres et puis' les lits, et puis les armoires et puis les draps. Et puis un jour il n'a plus rien eu, ?a leur arrive, un jour il a le costume qu'il a sur le dos, plus rien d'autre, plus un drap, plus un couvert. Il est seul. En un an personne ne lui a ouvert sa porte. Il écrit à un cousin de Paris. Il aura une chambre de service à Malesherbes. Et à plus de cinquante ans il aura son premier emploi, le premier salaire de sa vie, il est planton dans une Compagnie d'assurances maritimes. ?a a duré, je crois, quinze ans. Il est allé à l'h?pital. Il n'y est pas mort. Il est mort dans sa chambra.
Ma mère n'a jamais parlé de cet enfant. Elle ne s'est jamais plainte. Elle n'a jamais parlé du fouilleur d'armoires à personne. Il en a été de cette maternité comme d'un délit. Elle la tenait cachée. Devait la croire inintelligible, incom-municable a quiconque ne connaissait pas son fils comme elle le connaissait, par-devant Dieu et seulement devant Lui. Elle en disait de petites banalités, toujours les mêmes. Que s'il avait voulu ?'aurait été lui le plus intelligent des trois. Le plus ?artiste?. Le plus fin. Et aussi celui qui avait le plus aimé sa mère. Lui qui, en définitive, l'avait le mieux comprise. Je ne savais pas, disait-elle, qu'on pouvait at-tendre ?a d'un gar?on, une telle intuition, une tendresse si profonde.
Nous nous sommes revus une fois, il m'a parlé du petit frère mort. Il a dit: quelle horreur cette mort, c'est abomi-nable, notre petit frère, notre petit Paulo.
Reste cette image de notre parenté: c'est un repas à Sadec. Nous mangeons tous les trois à la table de la salle à manger. Ils ont dix-sept, dix-huit ans. Ma mère n'est pas avec nous. Il nous regarde manger, le petit frère et moi, et puis il pose sa fourchette, il ne regarde plus que mon petit frère. Très longuement il le regarde et puis il lui dit tout à coup, très calmement, quelque chose de terrible. La phrase est sur la nourriture. Il lui dit qu'il doit faire attention, qu'il ne doit pas manger autant. Le petit frère ne répond rien. Il continue. Il rappelle que les gros morceaux de viande c'est pour lui, qu'il ne doit pas l'oublier. Sans ?a, dit-il. Je demande: pourquoi pour toi? Il dit: parce que c'est comme ?a. Je dis: je voudrais que tu meures. Je ne peux plus manger. Le petit frère non plus. Il attend que . le petit frère ose dire un mot, un seul mot, ses poings fermés sont déjà prêts au-dessus de la table pour lui broyer la figure. Le petit frère ne dit rien. Il est très pale. Entre ses cils le début des pleurs.
Quand il meurt c'est un jour morne. Je crois, de printemps, d'avril. On me téléphone. Rien, on ne dit rien d'autre, il a été trouvé mort, par terre, dans sa chambre. La mort était en avance sur la fin de son histoire. De son vi-vant c'était déjà fait, c'était trop tard pour qu'il meure, c'était fait depuis la mort du petit frère. Les mots subjugants: tout est consommé.
Elle a demandé que celui-là soit enterré avec elle. Je ne sais plus à quel endroit, dans quel cimetière, je sais que c'est dans la Loire. Ils sont tous les deux dans la tombe. Eux deux seulement. C'est juste. L'image est d'une in-tolérable splendeur.
Le crépuscule tombait à la même heure toute l'année. II était très court, presque brutal. A la saison des pluies, pendant des semaines, on ne voyait pas le ciel, il était pris dans un brouillard uniforme que même la lumière de la lune , ne traversait pas. En saison sèche par contre le ciel était nu, découvert dans sa totalité, cru. Même les nuits sans lune étaient illuminées. Et les ombres étaient pareillement dessinées sur les sols, les eaux, les routes, les murs.
Je me souviens mal des jours. L'éclairement solaire ternissait les couleurs, écrasait. Des nuits, je me souviens. Le bleu était plus loin que le ciel, il était derrière toutes les épaisseurs, il recouvrait le fond du monde. Le ciel, pour moi, c'était cette tra?née de pure brillance qui traverse le bleu, cette fusion froide au-delà de toute couleur. Quelque-fois, c'était à Vinhlong, quand ma mère était triste, elle faisait atteler le tilbury et on allait dans la campagne voir la nuit de la saison sèche. J'ai eu cette chance, pour ces nuits, cette mère. La lumière tombait du ciel dans des cataractes de pure transparence, dans des trombes de silence et d'im-mobilité. L'air était bleu, on le prenait dans la main. Bleu. Le ciel était cette palpitation continue de la brillance de la lumière. La nuit éclairait tout, toute la campagne de chaque rive du fleuve jusqu'aux limites de la vue. Chaque nuit était particulière, chacune pouvait être appelée le temps de sa durée. Le son des nuits était celui des chiens de la cam-pagne. Ils hurlaient au mystère. Ils se répondaient de vil-lage en village jusqu'à la consommation totale de l'espace et du temps de la nuit.
Dans les allées de la cour les ombres des pommiers canneliers sont d'encre noire. Le jardin est tout entier figé dans une immobilité de marbre. La maison de même, monumentale, funèbre. Et mon petit frère qui marchait auprès de moi et qui maintenant regarde avec insistance vers le portail ouvert sur l'avenue déserte.
Une fois il n'est pas là devant le lycée. Le chauffeur est seul dans l'auto noire. Il me dit que le père est malade, que le jeune ma?tre est reparti pour Sadec. Que lui, le chauf-feur, a re?u l'ordre de rester à Saigon pour m'amener au lycée, me reconduire à la pension. Le jeune ma?tre est re-venu au bout de quelques jours. De nouveau il a été à l'ar-rière de l'auto noire, le visage détourné pour ne pas voir les regards, toujours dans la peur. Nous nous sommes embras-sés, sans un mot, embrassés, là, nous avons oublié, devant le lycée, embrassés. Dans le baiser il pleurait. Le père al-lait vivre encore. Son dernier espoir s'en allait. Il le lui avait demandé. Il l'avait supplié de le laisser me garder en-core avec lui contre son corps, il lui avait dit qu'il devait le comprendre, qu'il devait lui-même avoir vécu au moins une fois une passion comme celle-ci au cours de sa longue vie, que c'était impossible qu'il en ait été autrement, il l'avait prié de lui permettre de vivre à son tour, une fois, une pas-sion pareille, cette folie-là, cet amour fou de la petite fille blanche, il lui avait demandé de lui laisser le temps de l'ai-mer encore avant de la renvoyer en France, de la lui laisser encore, encore un an peut-être, parce que ce n'était pas pos-sible pour lui de laisser déjà cet amour, il était trop nouveau, encore trop fort, encore trop dans sa violence naissante, que c'était trop affreux encore de se séparer de son corps, d'au-tant, il le savait bien, lui, le père, que cela ne se reproduirait jamais plus.
Le père lui avait répété qu'il préférait le voir mort. Nous nous sommes baignés ensemble avec l'eau fra?che des jarres, nous nous sommes embrassés, nous avons pleuré et ?a a été encore à en mourir mais cette fois, déjà, d'une inconsolable jouissance. Et puis je lui ai dit. Je lui ai dit de ne rien regretter, je lui ai rappelé ce qu'il avait dit, que je partirais de partout, que je ne pouvais pas décider de ma conduite. Il a dit que même cela lui était égal désormais, que tout était dépassé. Alors je lui ai dit que j'étais de l'avis de son père. Que je refusais de rester avec lui. le n'ai pas donné de raisons.
C'est une des longues avenues de Vinhlong qui se ter-mine sur le Mékong. C'est une avenue toujours déserte le soir. Ce soir-là comme presque chaque soir il y a une panne d'électricité. Tout commence par là. Dès que j'atteins l'a-venue, que le portail est refermé derrière moi, survient la panne de lumière. Je cours. Je cours parce que j'ai peur de l'obscurité. Je cours de plus en plus vite. Et tout à coup je crois entendre une autre course derrière moi. Et tout à coup je suis s?re que derrière moi quelqu'un court dans mon sillage. Tout en courant je me retourne et je vois. C'est une très grande femme, très maigre, maigre comme la mort et qui rit et qui court. Elle est pieds nus, elle court après moi pour me rattraper. Je la reconnais, c'est la folle du poste, la folle de Vinhlong. Pour la première fois je l'entends, elle parle la nuit, le jour elle dort, et souvent là dans cette avenue, devant le jardin. Elle court en criant dans une langue que je ne connais pas. La peur est telle que je ne peux pas appeler. Je dois avoir huit ans. J'en-tends son rire hurlant et ses cris de joie, c'est s?r qu'elle doit s'amuser de moi. Le souvenir est celui d'une peur centrale. Dire que cette peur dépasse mon entendement, ma force, c'est peu dire. Ce que l'on peut avancer, c'est le souvenir de cette certitude de l'être tout entier, à savoir que si la femme me touche, même légèrement, de la main, je pas-serai à mon tour dans un état bien pire que celui de la mort, l'état de la folie. J'ai atteint le jardin des voisins, la mai-son, j'ai monté les marches et je suis tombée dans l'entrée. Je suis plusieurs jours ensuite sans pouvoir raconter du tout ce qui m'est arrivé.
Tard dans ma vie je suis encore dans la peur de voir s'aggraver un état de ma mère—je n'appelle pas encore cet état—ce qui la mettrait dans le cas d'être séparée de ses enfants. Je crois que ce sera à moi de savoir ce qu'il en sera le jour venu, pas à mes frères, parce que mes frères ne sauraient pas juger de cet état-là.
C'était à quelques mois de notre séparation définitive, c'était à Saigon, tard le soir, nous étions sur la grande ter-rasse de la maison de la rue Testard. Il y avait D?. J'ai regardé ma mère. Je l'ai mal reconnue. Et puis, dans une sorte d'effacement soudain, de chute, brutalement je ne l'ai plus reconnue au tout. Il y a eu tout à coup, là, près de moi, une personne assise à la place de ma mère, elle n'était pas ma mère, elle avait son aspect, mais jamais elle n'avait été ma mère. Elle avait un air légèrement hébété, elle regar-dait vers le parc, un certain point du parc, elle guettait semble-t-il l'imminence d'un événement dont je ne percevais rien. Il y avait en elle une jeunesse des traits, du regard, un bonheur qu'elle réprimait en raison d'une pudeur dont elle devait être coutumière. Elle était belle. D? était à c?té d'elle. D? paraissait ne s'être aper?ue de rien. L'épouvante ne tenait pas à ce que je dis d'elle, de ses traits, de son air de bonheur, de sa beauté, elle venait de ce qu'elle était assise là même où était assise ma mère lorsque la substi-tution s'était produite, que je savais que personne d'autre n'était là à sa place qu'elle-même, mais que justement cette identité qui n'était rempla?able par aucune autre avait dis-paru et que j'étais sans aucun moyen de faire qu'elle re-vienne, qu'elle commence à revenir. Rien ne se proposait plus pour habiter l'image. Je suis devenue folle en pleine raison. Le temps de crier. J'ai crié. Un cri faible, un appel à l'aide pour que craque cette glace dans laquelle se figeait mortellement toute la scène. Ma mère s'est retournée.
J'ai peuplé toute la ville de cette mendiante de l'avenue. Toutes les mendiantes des villes, des rizières, celles des pistes qui bordaient le Siam, celles des rives du Mékong, je l'en ai peuplée elle qui m'avait fait peur. Elle est venue de partout. Elle est toujours arrivée à Calcutta, d'où qu'elle soit venue. Elle a toujours dormi à l'ombre des pommiers canneliers de la cour de récréation. Toujours ma mère a été là près d'elle, à lui soigner son pied rongé par les vers, plein de mouches.
A c?té d'elle la petite fille de l'histoire. Elle la porte depuis deux mille kilomètres. Elle n'en veut plus du tout, elle; ]a donne, allez, prends. Plus d'enfants. Pas d'enfant. Tous morts ou jetés, ?a fait une masse à la fin de la vie. Celle-ci qui dort sous les pommiers canneliers n'est pas en-core morte. C'est celle qui vivra le plus longtemps. Elle mourra à l'intérieur de la maison, en robe de dentelle. Elle sera pleurée.
Elle est sur les talus des rizières qui bordent la piste, elle crie et elle rit à gorge déployée. Elle a un rire d'or, à réveiller les morts, à réveiller quiconque écoute rire les en-fants. Elle reste devant le bungalow des jours et des jours, il y a des blancs dans le bungalow, elle se souvient, ils don-nent a. manger aux mendiants. Puis une fois, voilà, elle se réveille au petit jour et elle commence à marcher, un jour elle part, allez voir pourquoi, elle oblique vers la montagne, elle traverse la forêt et elle suit les sentiers qui courent le long des crêtes de la cha?ne du Siam. A force de voir, peut-être, de voir un ciel jaune et vert de l'autre c?té de la plaine, elle traverse. Elle commence à descendre vers la mer, vers la fin. Elle dévale de sa grande marche maigre les pentes de la forêt. Elle traverse, traverse. Ce sont les forêts pes-tilentielles. Les régions très chaudes. Il n'y a pas le vent salutaire de la mer. Il y a le vacarme stagnant des moustiques. les enfants morts, la pluie chaque jour. Et puis voici les deltas. Ce sont les plus grands deltas de la terre. Ils sont de vase noire. Ils sont vers Chittagong. Elle a quitté les pistes, les forêts, les routes du thé, les soleils rouges, elle parcourt devant elle l'ouverture des deltas. Elle prend la direction du tournoiement du monde, celle toujours loin-taine, enveloppante, de l'est. Un jour elle est face à la mer. Elle crie, elle rit de son gloussement miraculeux d'oiseau, A cause du rire elle trouve à Chittagong une jonque qui la traverse, les pêcheurs veulent bien la prendre, elle traverse en compagnie le golfe du Bengale.
On commence, on commence ensuite à la voir près des décharges publiques dans les banlieues de Calcutta.
Et puis on la perd. Et puis après on la retrouve en-core. Elle est derrière l'ambassade de France de cette même ville. Elle dort dans un parc, rassasiée d'une nourriture infinie.
Elle est là pendant la nuit. Puis dans le Gange au lever du jour. L'humeur rieuse et moqueuse toujours. Elle ne part plus. Ici elle mange, elle dort, c'est calme la nuit, ?Ile reste là dans le parc de lauriers-roses.
Un jour je viens, je passe par là. J'ai dix-sept ans. C'est le quartier anglais, les parcs des ambassades, c'est la mousson, les tennis sont déserts. Le long du Gange les lépreux rient.
Nous sommes en escale à Calcutta. Une panne du paquebot de ligne. Nous visitons la ville pour passer le temps. Nous repartons le lendemain soir.
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