基督山伯爵中法对照6
Chapitre VI
Le substitut du Procureur du Roi
Rue du Grand-Cours, en face de la fontaine des Méduses, dans une de ces vieilles maisons à l'architecture aristocratique bâties par Puget, on célébrait aussi le même jour, à la même heure, un repas de fiançailles.
Seulement, au lieu que les acteurs de cette autre scène fussent des gens du peuple, des matelots et des soldats, ils appartenaient à la tête de la société marseillaise. C'étaient d'anciens magistrats qui avaient donné la démission de leur charge sous l'usurpateur ; de vieux officiers qui avaient déserté nos rangs pour passer dans ceux de l'armée de Condé ; des jeunes gens élevés par leur famille encore mal rassurée sur leur existence, malgré les quatre ou cinq remplaçants qu'elle avait payés, dans la haine de cet homme dont cinq ans d'exil devaient faire un martyr, et quinze ans de Restauration un dieu.
On était à table, et la conversation roulait, brûlante de toutes les passions, les passions de l'époque, passions d'autant plus terribles, vivantes et acharnées dans le Midi que depuis cinq cents ans les haines religieuses venaient en aide aux haines politiques.
L'Empereur, roi de l'île d'Elbe après avoir été souverain d'une partie du monde, régnant sur une population de cinq à six mille âmes, après avoir entendu crier : Vive Napoléon ! par cent vingt millions de sujets et en dix langues différentes, était traité comme un homme perdu à tout jamais pour la France et pour le trône. Les magistrats relevaient les bévues politiques ; les militaires parlaient de Moscou et de Leipsick ; les femmes, de son divorce avec Joséphine. Il semblait à ce monde royaliste, tout joyeux et tout triomphant non pas de la chute de l'homme, mais de l'anéantissement du principe, que la vie recommençait pour lui, et qu'il sortait d'un rêve pénible.
Un vieillard, décoré de la croix de Saint-Louis, se leva et proposa la santé du roi Louis XVIII à ses convives ; c'était le marquis de Saint-Méran.
A ce toast, qui rappelait à la fois l'exilé de Hartwell et le roi pacificateur de la France, la rumeur fut grande, les verres se levèrent à la manière anglaise, les femmes détachèrent leurs bouquets et en jonchèrent la nappe. Ce fut un enthousiasme presque poétique.
« Ils en conviendraient s'ils étaient là, dit la marquise de Saint-Méran, femme à l'oeil sec, aux lèvres minces, à la tournure aristocratique et encore élégante, malgré ses cinquante ans, tous ces révolutionnaires qui nous ont chassés et que nous laissons à notre tour bien tranquillement conspirer dans nos vieux châteaux qu'ils ont achetés pour un morceau de pain, sous la Terreur : ils en conviendraient, que le véritable dévouement était de notre côté, puisque nous nous attachions à la monarchie croulante, tandis qu'eux, au contraire, saluaient le soleil levant et faisaient leur fortune, pendant que, nous, nous perdions la nôtre ; ils en conviendraient que notre roi, à nous, était bien véritablement Louis le Bien-Aimé, tandis que leur usurpateur, à eux, n'a jamais été que Napoléon le Maudit ; n'est-ce pas de Villefort ?
- Vous dites, madame la marquise ?... Pardonnez moi, je n'étais pas à la conversation.
- Eh ! laissez ces enfants, marquise, reprit le vieillard qui avait porté le toast ; ces enfants vont s'épouser, et tout naturellement ils ont à parler d'autre chose que de politique.
- Je vous demande pardon, ma mère, dit une jeune et belle personne aux blonds cheveux, à l'oeil de velours nageant dans un fluide nacré ; je vous rends M. de Villefort, que j'avais accaparé pour un instant. Monsieur de Villefort, ma mère vous parle.
- Je me tiens prêt à répondre à madame, si elle veut bien renouveler sa question que j'ai mal entendue, dit M. de Villefort.
- On vous pardonne, Renée, dit la marquise avec un sourire de tendresse qu'on était étonné de voir fleurir sur cette sèche figure ; mais le coeur de la femme est ainsi fait, que si aride qu'il devienne au souffle des préjugés et aux exigences de l'étiquette, il y a toujours un coin fertile et riant : c'est celui que Dieu a consacré à l'amour maternel. On vous pardonne... Maintenant je disais, Villefort, que les bonapartistes n'avaient ni notre conviction, ni notre enthousiasme, ni notre dévouement.
- Oh ! madame, ils ont du moins quelque chose qui remplace tout cela : c'est le fanatisme. Napoléon est le Mahomet de l'Occident ; c'est pour tous ces hommes vulgaires, mais aux ambitions suprêmes, non seulement un législateur et un maître, mais encore c'est un type, le type de l'égalité.
- De l'égalité ! s'écria la marquise. Napoléon, le type de l'égalité ! et que ferez-vous donc de M. de Robespierre ? Il me semble que vous lui volez sa place pour la donner au Corse ; c'est cependant bien assez d'une usurpation, ce me semble.
- Non, madame, dit Villefort, je laisse chacun sur son piédestal : Robespierre, place Louis XV, sur son échafaud ; Napoléon, place Vendôme, sur sa colonne ; seulement l'un a fait de l'égalité qui abaisse, et l'autre de l'égalité qui élève ; l'un a ramené les rois au niveau de la guillotine, l'autre a élevé le peuple au niveau du trône. Cela ne veut pas dire, ajouta Villefort en riant, que tous deux ne soient pas d'infâmes révolutionnaires, et que le 9 thermidor et le 4 avril 1814 ne soient pas deux jours heureux pour la France, et dignes d'être également fêtés par les amis de l'ordre et de la monarchie ; mais cela explique aussi comment, tout tombé qu'il est pour ne se relever jamais, je l'espère, Napoléon a conservé ses séides. Que voulez-vous, marquise ? Cromwell, qui n'était que la moitié de tout ce qu'a été Napoléon, avait bien les siens !
- Savez-vous que ce que vous dites là, Villefort, sent la révolution d'une lieue ? Mais je vous pardonne : on ne peut pas être fils de girondin et ne pas conserver un goût de terroir. »
Une vive rougeur passa sur le front de Villefort.
« Mon père était girondin, madame, dit-il, c'est vrai ; mais mon père n'a pas voté la mort du roi ; mon père a été proscrit par cette même Terreur qui vous proscrivait, et peu s'en est fallu qu'il ne portât sa tête sur le même échafaud qui avait vu tomber la tête de votre père.
- Oui, dit la marquise, sans que ce souvenir sanglant amenât la moindre altération sur ses traits ; seulement c'était pour des principes diamétralement opposés qu'ils y fussent montés tous deux, et la preuve c'est que toute ma famille est restée attachée aux princes exilés, tandis que votre père a eu hâte de se rallier au nouveau gouvernement, et qu'après que le citoyen Noirtier a été girondin, le comte Noirtier est devenu sénateur.
- Ma mère, ma mère, dit Renée, vous savez qu'il était convenu qu'on ne parlerait plus de ces mauvais souvenirs.
- Madame, répondit Villefort, je me joindrai à Mlle de Saint-Méran pour vous demander bien humblement l'oubli du passé. A quoi bon récriminer sur des choses dans lesquelles la volonté de Dieu même est impuissante ? Dieu peut changer l'avenir ; il ne peut pas même modifier le passé. Ce que nous pouvons, nous autres hommes, c'est sinon le renier, du moins jeter un voile dessus. Eh bien, moi, je me suis séparé non seulement de l'opinion, mais encore du nom de mon père. Mon père a été ou est même peut-être encore bonapartiste et s'appelle Noirtier ; moi, je suis royaliste et m'appelle de Villefort. Laissez mourir dans le vieux tronc un reste de sève révolutionnaire, et ne voyez, madame, que le rejeton qui s'écarte de ce tronc, sans pouvoir, et je dirai presque sans vouloir s'en détacher toue à fait.
- Bravo, Villefort, dit le marquis, bravo, bien répondu ! Moi aussi, j'ai toujours prêché à la marquise l'oubli du passé, sans jamais avoir pu l'obtenir d'elle ; vous serez plus heureux, je l'espère.
- Oui, c'est bien, dit la marquise, oublions le passé, je ne demande pas mieux, et c'est convenu ; mais qu'au moins Villefort soit inflexible pour l'avenir. N'oubliez pas, Villefort, que nous avons répondu de vous à Sa Majesté : que Sa Majesté, elle aussi, a bien voulu oublier, à notre recommandation elle tendit la main, comme j'oublie à votre prière. Seulement s'il vous tombe quelque conspirateur entre les mains, songez qu'on a d'autant plus les yeux sur vous que l'on sait que vous êtes d'une famille qui peut-être est en rapport avec ces conspirateurs.
- Hélas ! madame, dit Villefort, ma profession et surtout le temps dans lequel vous vivons m'ordonnent d'être sévère. Je le serai. J'ai déjà eu quelques accusations politiques à soutenir, et, sous ce rapport, j'ai fait mes preuves. Malheureusement, nous ne sommes pas au bout.
- Vous croyez ? dit la marquise.
- J'en ai peur. Napoléon à l'île d'Elbe est bien près de la France ; sa présence presque en vue de nos côtes entretient l'espérance de ses partisans. Marseille est pleine d'officiers à demi-solde, qui, tous les jours, sous un prétexte frivole, cherchent querelle aux royalistes ; de là des duels parmi les gens de classe élevée, de là des assassinats dans le peuple.
- Oui, dit le comte de Salvieux, vieil ami de M. de Saint-Méran et Chambellan de M. le comte d’Artois, oui, mais vous savez que la Sainte Alliance le déloge.
- Oui, il était question de cela lors de notre départ de Paris, dit M. de Saint Méran. Et où l'envoie-t-on ?
- A Sainte-Hélène.
- A Sainte-Hélène ! Qu'est-ce que cela ? demanda la marquise.
- Une île située à deux mille lieues d'ici, au-delà de l'équateur, répondit le comte.
- A la bonne heure ! Comme le dit Villefort, c'est une grande folie que d'avoir laissé un pareil homme entre la Corse, où il est né, et Naples, où règne encore son beau-frère, et en face de cette Italie dont il voulait faire un royaume à son fils.
- Malheureusement, dit Villefort, nous avons les traités de 1814, et l'on ne peut toucher à Napoléon sans manquer à ces traités.
- Eh bien, on y manquera, dit M. de Salvieux. Y a-t-il regardé de si près, lui, lorsqu'il s'est agi de faire fusiller le malheureux duc d'Enghein ?
- Oui, dit la marquise, c'est convenu, la Sainte-Alliance débarrasse l'Europe de Napoléon, et Villefort débarrasse Marseille de ses partisans. Le roi règne ou ne règne pas : s'il règne, son gouvernement doit être fort et ses agents inflexibles ; c'est le moyen de prévenir le mal.
- Malheureusement, madame, dit en souriant Villefort, un substitut du procureur du roi arrive toujours quand le mal est fait.
- Alors, c'est à lui de le réparer.
- Je pourrais vous dire encore, madame, que nous ne réparons pas le mal, mais que nous le vengerons : voilà tout.
- Oh ! monsieur de Villefort, dit une jeune et jolie personne, fille du comte de Salvieux et amie de Mlle de Saint-Méran, tâchez donc d'avoir un beau procès, tandis que nous serons à Marseille. Je n'ai jamais vu une cour d'assises, et l'on dit que c'est fort curieux.
- Fort curieux, en effet, mademoiselle, dit le substitut ; car au lieu d'une tragédie factice, c'est un drame véritable ; au lieu de douleurs jouées, ce sont des douleurs réelles. Cet homme qu'on voit là, au lieu, la toile baissée, de rentrer chez lui, de souper en famille et de se coucher tranquillement pour recommencer le lendemain, rentre dans la prison où il trouve le bourreau. Vous voyez bien que, pour les personnes nerveuses qui cherchent les émotions, il n'y a pas de spectacle qui vaille celui-là. Soyez tranquille, mademoiselle, si la circonstance se présente, je vous la procurerai.
- Il nous fait frissonner... et il rit ! dit Renée toute pâlissante.
- Que voulez-vous... c'est un duel... J'ai déjà requis cinq ou six fois la peine de mort contre des accusés politiques ou autres... Eh bien, qui sait combien de poignards à cette heure s'aiguisent dans l'ombre, ou sont déjà dirigés contre moi ?
- Oh ! mon Dieu ! dit Renée en s'assombrissant de plus en plus, parlez vous donc sérieusement, monsieur de Villefort ?
- On ne peut plus sérieusement, mademoiselle, reprit le jeune magistrat, le sourire sur les lèvres. Et avec ces beaux procès que désire mademoiselle pour satisfaire sa curiosité, et que je désire, moi pour satisfaire mon ambition, la situation ne fera que s'aggraver. Tous ces soldats de Napoléon, habitués à aller en aveugles à l'ennemi, croyez-vous qu'ils réfléchissent en brûlant une cartouche ou en marchant à la baïonnette ? Eh bien, réfléchiront- ils davantage pour tuer un homme qu'ils croient leur ennemi personnel, que pour tuer un Russe, un Autrichien ou un Hongrois qu'ils n'ont jamais vu ? D'ailleurs, il faut cela, voyez-vous, sans quoi notre métier n'aurait point d'excuse. Moi-même, quand je vois luire dans l'oeil de l'accusé l'éclair lumineux de la rage, je me sens tout encouragé, je m'exalte : ce n'est plus un procès, c'est un combat ; je lutte contre lui, il riposte, je redouble, et le combat finit, comme tous les combats, par une victoire ou une défaite. Voilà ce que c'est que de plaider ! c'est le danger qui fait l'éloquence. Un accusé qui me sourirait après ma réplique me ferait croire que j'ai parlé mal, que ce que j'ai dit est pâle, sans vigueur, insuffisant. Songez donc à la sensation d'orgueil qu'éprouve un procureur du roi, convaincu de la culpabilité de l'accusé, lorsqu'il voit blêmir et s'incliner son coupable sous le poids des preuves et sous les foudres de son éloquence ! Cette tête se baisse, elle tombera. »
Renée jeta un léger cri.
« Voilà qui est parler, dit un des convives.
- Voilà l'homme qu'il faut dans des temps comme les nôtres ! dit un second.
- Aussi, dit un troisième, dans votre dernière affaire vous avez été superbe, mon cher Villefort. Vous savez, cet homme qui avait assassiné son père ; eh bien, littéralement, vous l'aviez tué avant que le bourreau y touchât.
- Oh ! pour les parricides, dit Renée, oh ! peu m'importe, il n'y a pas de supplice assez grand pour de pareils hommes ; mais pour les malheureux accusés politiques !...
- Mais c'est pire encore, Renée, car le roi est le père de la nation, et vouloir renverser ou tuer le roi, c'est vouloir tuer le père de trente-deux millions d'hommes.
- Oh ! c'est égal ; monsieur de Villefort, dit Renée, vous me promettez d'avoir de l'indulgence pour ceux que je vous recommanderai ?
- Soyez tranquille, dit Villefort avec son plus charmant sourire, nous ferons ensemble mes réquisitoires.
- Ma chère, dit la marquise, mêlez-vous de vos colibris, de vos épagneuls et de vos chiffons, et laissez votre futur époux faire son état. Aujourd'hui, les armes se reposent et la robe est en crédit ; il y a là-dessus un mot latin d'une grande profondeur.
- Codant arma toge, dit en s'inclinant Villefort.
- Je n'osais point parler latin, répondit la marquise.
- Je crois que j'aimerais mieux que vous fussiez médecin, reprit Renée ; l'ange exterminateur, tout ange qu'il est, m'a toujours fort épouvantée.
- Bonne Renée ! murmura Villefort en couvant la jeune fille d'un regard d'amour.
- Ma fille, dit le marquis, monsieur de Villefort sera le médecin moral et politique de cette province ; croyez moi, c'est un beau rôle à jouer.
- Et ce sera un moyen de faire oublier celui qu'a joué son père, reprit l'incorrigible marquise.
- Madame, reprit Villefort avec un triste sourire, j'ai déjà eu l'honneur de vous dire que mon père avait, je l'espère du moins, abjuré les erreurs de son passé ; qu'il était devenu un ami zélé de la religion et de l'ordre, meilleur royaliste que moi peut-être ; car lui, c'était avec repentir, et, moi, je ne le suis qu'avec passion. »
Et après cette phrase arrondie, Villefort, pour juger de l'effet de sa faconde, regarda les convives, comme, après une phrase équivalente, il aurait au parquet regardé l'auditoire.
« Eh bien, mon cher Villefort, reprit le comte de Salvieux, c'est justement ce qu'aux Tuileries je répondais avant-hier au ministre de la maison du roi, qui me demandait un peu compte de cette singulière alliance entre le fils d'un girondin et la fille d'un officier de l'année de Condé ; et le ministre a très bien compris. Ce système de fusion est celui de Louis XVIII. Aussi le roi, qui, sans que nous nous en doutassions, écoutait notre conversation, nous a- t-il interrompus en disant : « Villefort, remarquez que le roi n’a pas prononcé le nom de Noirtier, et au contraire a appuyé sur celui de Villefort, Villefort, a donc dit le roi, fera un bon chemin ; c'est un jeune homme déjà mûr, et qui est de mon monde. J'ai vu avec plaisir que le marquis et la marquise de Saint-Méran le prissent pour gendre, et je leur eusse conseillé cette alliance s'ils n'étaient venus les premiers me demander la permission de la contracter. »
- Le roi a dit cela, comte ? s'écria Villefort ravi.
- Je vous rapporte ses propres paroles, et si le marquis veut être franc, il avouera que ce que je vous rapporte à cette heure s'accorde parfaitement avec ce que le roi lui a dit à lui-même quand il lui a parlé, il y a six mois, d'un projet de mariage entre sa fille et vous.
- C'est vrai, dit le marquis.
- Oh ! mais je lui devrai donc tout, à ce digne prince. Aussi que ne ferais je pas pour le servir !
- A la bonne heure, dit la marquise, voilà comme je vous aime : vienne un conspirateur dans ce moment, et il sera le bienvenu.
- Et moi, ma mère, dit Renée, je prie Dieu qu'il ne vous écoute point, et qu'il n'envoie à M. de Villefort que de petits voleurs, de faibles banqueroutiers et de timides escrocs ; moyennant cela, je dormirai tranquille.
- C'est comme si, dit en riant Villefort, vous souhaitiez au médecin des migraines, des rougeoles et des piqûres de guêpe, toutes choses qui ne compromettent que l'épiderme. Si vous voulez me voir procureur du roi, au contraire, souhaitez-moi de ces terribles maladies dont la cure fait honneur au médecin. »
En ce moment, et comme si le hasard n'avait attendu que l'émission du souhait de Villefort pour que ce souhait fût exaucé, un valet de chambre entra et lui dit quelques mots à l'oreille. Villefort quitta alors la table en s’excusant, et revint quelques instants après, le visage ouvert et les lèvres souriantes.
Renée le regarda avec amour ; car, vu ainsi, avec ses yeux bleus, son teint mat et ses favoris noirs qui encadraient son visage, c'était véritablement un élégant et beau jeune homme ; aussi l'esprit tout entier de la jeune fille sembla-t-il suspendu à ses lèvres, en attendant qu'il expliquât la cause, de sa disparition momentanée.
« Eh bien, dit Villefort, vous ambitionniez tout à l'heure, mademoiselle, d'avoir pour mari un médecin, j'ai au moins avec les disciples d'Esculape on parlait encore ainsi en 1815 cette ressemblance, que jamais l'heure présente n'est à moi, et qu'on me vient déranger même à côté de vous, même au repas de mes fiançailles.
- Et pour quelle cause vous dérange-t-on, monsieur ? demanda la belle jeune fille avec une légère inquiétude.
- Hélas ! pour un malade qui serait, s'il faut en croire ce que l'on m'a dit, à toute extrémité : cette fois c'est un cas grave, et la maladie frise l'échafaud.
- O mon Dieu ! s'écria Renée en pâlissant.
- En vérité ! dit tout d'une voix l'assemblée.
- Il paraît qu'on vient tout simplement de découvrir un petit complot bonapartiste.
- Est-il possible ? dit la marquise.
- Voici la lettre de dénonciation. »
Et Villefort lut :
« Monsieur le procureur du roi est prévenu, par un ami du trône et de la religion, que le nommé Edmond Dantès, second du navire le Pharaon, arrivé ce matin de Smyrne, après avoir touché à Naples et à Porto-Ferrajo, a été chargé, par Murat, d'une lettre pour l'usurpateur, et, par l'usurpateur, d'une lettre pour le comité bonapartiste de Paris.
« On aura la preuve de son crime en l'arrêtant, car on trouvera cette lettre ou sur lui, ou chez son père, ou dans sa cabine à bord du Pharaon. »
- Mais, dit Renée, cette lettre, qui n'est qu'une lettre anonyme d'ailleurs, est adressée à M. le procureur du roi, et non à vous.
- Oui, mais le procureur du roi est absent ; en son absence, l’épître est parvenue à son secrétaire, qui avait mission d'ouvrir les lettres ; il a donc ouvert celle-ci, m'a fait chercher, et, ne me trouvant pas, a donné des ordres pour l'arrestation.
- Ainsi, le coupable est arrêté, dit la marquise.
- C'est-à-dire l'accusé, reprit Renée.
- Oui, madame, dit Villefort, et, comme j'avais l'honneur de le dire tout à l'heure à Mlle Renée, si l'on trouve la lettre en question, le malade est bien malade.
- Et où est ce malheureux ? demanda Renée.
- Il est chez moi.
- Allez, mon ami, dit le marquis, ne manquez pas à vos devoirs pour demeurer avec nous, quand le service du roi vous attend ailleurs ; allez donc où le service de roi vous attend.
- Oh ! monsieur de Villefort, dit Renée en joignant les mains, soyez indulgent, c'est le jour de vos fiançailles ! »
Villefort fit le tour de la table, et, en s’approchant de la chaise de la jeune fille, sur le dossier de laquelle il s’appuya :
« Pour vous épargner une inquiétude, dit-il, je ferai tout ce que je pourrai, chère Renée ; mais, si les indices sont sûrs, si l'accusation est vraie, il faudra bien couper cette mauvaise herbe bonapartiste. »
Renée frissonna à ce mot couper, car cette herbe qu'il s'agissait de couper avait une tête.
« Bah ! Bah ! dit la marquise, n'écoutez pas cette petite fille, Villefort, elle s'y fera. »
Et la marquise tendit à Villefort une main sèche qu'il baisa, tout en regardant Renée et en lui disant des yeux :
« C'est votre main que je baise, ou du moins que je voudrais baiser en ce moment.
- Tristes auspices ! murmura Renée.
- En vérité, mademoiselle, dit la marquise, vous êtes d'un enfantillage désespérant : je vous demande un peu ce que le destin de l'>tat peut avoir à faire avec vos fantaisies de sentiment et vos sensibleries de coeur.
- Oh ! ma mère ! murmura Renée.
- Grâce pour la mauvaise royaliste, madame la marquise, dit de Villefort, je vous promets de faire mon métier de substitut du procureur du roi en conscience, c'est-à-dire d'être horriblement sévère. »
Mais, en même temps que le magistrat adressait ces paroles à la marquise, le fiancé jetait à la dérobée un regard à sa fiancée, et ce regard disait :
« Soyez tranquille, Renée : en faveur de votre amour, je serai indulgent. »
Renée répondit à ce regard par son plus doux sourire, et Villefort sortit avec le paradis dans le coeur.[1][2]
其他有趣的翻译
- 旅游法语口语系列一
- 旅游法语口语系列二
- 旅游法语:第一次坐法国航班
- 旅游法语:博物馆musées
- 旅游法语:旅店hotel
- 旅游法语:宗教religion
- 旅游法语:中国历史年表
- 旅游法语:Voyage
- 商业词汇法英对照系列一
- 商业词汇法英对照系列二
- 商业词汇法英对照系列三
- 商业词汇法英对照系列四
- 商业词汇法英对照系列五
- 商业词汇法英对照系列六
- 商业词汇法英对照系列七
- 商业词汇法英对照系列八
- 什么是企业(法汉对照)
- 外贸法语常用语
- 中国国家领导人会见外宾常用语
- 法语专业《跨文化交际》
- 法语中常用的足球术语
- 出生证明法文公证样本
- 法语个人简历样本一
- 法语个人简历样本二
- 法语个人简历样本三
- 法语简历与求职信样本
网友关注
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第五章(十三)
- 法国慢摇法语慢摇:《HeyOH》《哎哦》(Tragedie组合)
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第七章(七)
- 法语阅读经典素材整理12
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第五章(十四)
- 法语小说阅读:包法利夫人(9)
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第八章(六)
- 法文阅读:毕加索两幅价值5000万欧元名画于法国巴黎被偷
- 法语精选阅读素材:法语学习笔记02
- 法语阅读经典素材整理05
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第七章(四)
- 法语精选阅读素材:法语学习笔记01
- 法语阅读经典素材整理07
- 法语诗歌早读:兰波诗作 Le Mal 罪恶
- 法国人说话真的很快吗?
- Zazie《Jesuisunhomme》我是个人
- 法语诗歌早读:满面尘灰烟火色,两鬓苍苍十指黑
- 法语精选阅读素材:法语学习笔记05
- 备考语法阅读专题素材09
- 法语诗歌早读:雨果诗作Les pauvres gens 贫苦人(9)
- 法语阅读经典素材整理06
- 法语阅读经典素材整理11
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第七章(五)
- 影片《巴黎,我爱你》主题曲《Lamêmehistoire》同样的故事
- 备考语法阅读专题素材01
- SAVOIRAIMER《懂爱》
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第八章(八)
- 莫言2012诺贝尔演讲《讲故事的人》部分节选(中法翻译)
- 法语小说阅读:包法利夫人(4)
- 法语阅读经典素材整理02
- 法语诗歌早读:雨果诗作Les pauvres gens 贫苦人(7)
- 法语阅读经典素材整理03
- 法语诗歌早读:雨果诗作Les pauvres gens 贫苦人(8)
- 法语翻译经典品读:《L'étrange局外人》第二篇第四章(一)
- 法国音乐剧:《巴黎圣母院》大教堂时代
- 新闻外事翻译(三):中法联合声明(节选)
- 法语小说阅读:包法利夫人(8)
- 法语小说阅读:包法利夫人(5)
- 备考语法阅读专题素材08
- 法语科普:为什么单身?
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》下篇 第五章(一)
- 法语阅读经典素材整理01
- 法语阅读经典素材整理08
- 法语小说阅读:包法利夫人(2)
- 法语阅读经典素材整理04
- 法语:上海世博会吉祥物“海宝”简介
- 备考语法阅读专题素材06
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》下篇 第五章(二)
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》上篇 第七章(三)
- 备考语法阅读专题素材05
- ChimèneBadi《Entrenous》我们之间
- 中国古典诗歌法译:诗经邶风柏舟
- 法语精选阅读素材:法语学习笔记03
- 法语小说阅读:包法利夫人(7)
- 备考语法阅读专题素材04
- 一首不错的法语情诗翻译
- 法语诗歌早读:雨果诗作Les pauvres gens 贫苦人(6)
- 法语小说阅读:包法利夫人(1)
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》下篇 第四章(九)
- 法语诗歌早读:兰波诗作 Sensation感觉
- 一首忧伤深情的法语歌曲:《No
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》下篇 第四章(八)
- 备考语法阅读专题素材03
- 备考语法阅读专题素材10
- 法语诗歌早读:Sur l'air 《Musique pure et calme》清平乐
- 法文阅读:第四届法国电影展
- 法语诗歌早读:打起黄莺儿,莫教枝上啼
- 双语幽默:脸书搞笑法语语录摘选
- 《向左走向右走》法语版
- 法语阅读经典素材整理10
- 法语精选阅读素材:法语学习笔记04
- 备考语法阅读专题素材07
- 中国古典诗歌法译:国风
- 法语阅读经典素材整理09
- 备考语法阅读专题素材02
- 法语诗歌早读:昔有佳人公孙氏,一舞剑器动四方
- 法语阅读:十种最有意思的中国人
- 法语小说阅读:包法利夫人(10)
- 法语小说阅读:包法利夫人(6)
- 法语小说阅读:包法利夫人(3)
- 法语翻译经典品读《Bel ami漂亮朋友》下篇 第四章(七)
精品推荐
- 射阳县05月30日天气:阴,风向:东北风,风力:<3级,气温:20/18℃
- 民丰县05月30日天气:阴,风向:东北风,风力:3-4级转<3级,气温:26/14℃
- 吐鲁番市05月30日天气:晴,风向:无持续风向,风力:<3级,气温:30/20℃
- 大丰市05月30日天气:阴,风向:东北风,风力:<3级,气温:23/19℃
- 平罗县05月30日天气:晴转小雨,风向:无持续风向,风力:<3级转3-4级,气温:29/15℃
- 岳普湖县05月30日天气:阴,风向:无持续风向,风力:<3级,气温:29/15℃
- 平陆县05月30日天气:多云,风向:西南风,风力:<3级,气温:23/18℃
- 芮城县05月30日天气:晴转多云,风向:西北风,风力:<3级,气温:23/16℃
- 精河县05月30日天气:晴,风向:北风,风力:3-4级转<3级,气温:27/14℃
- 哈密地区05月30日天气:晴,风向:无持续风向,风力:<3级,气温:23/10℃
分类导航
热门有趣的翻译
- 法语热门:给我一次机会
- 法国的家庭宠物
- 法语日常口语学习:酒类
- 法语入门基础语法指导:直陈式先过去时
- 法语语法指导:名词前用限定词的作用
- 法语阅读经典素材整理25
- 法语语法指导:法语语法解析4
- 法语语法与词汇考试练习选择题整理(3)
- 优美法语每日一说:只道当时年纪小,对爱知之甚少
- 法语语法辅导:各并列连词的表现形式
- 基础法语语法:tout
- 看漫画学法语:Anpe
- 地理相关法语词汇
- 新概念法语对话辅导资料:我很抱歉
- 《茶花女》法语版第12章
- 法语口语:困了Fatigué
- 法语语法中的复合过去时及其性数配合
- 法语词汇素材:汽车相关词汇整理13
- 初学者必备法语词汇:CONNAITRE SAVOIR(音频朗读)
- 新概念法语发音辅导:表达情感的重音
- 法语词汇学习:常用短语2
- 英法同形词义辨析:Peine / Pain
- 法语阅读:软屏手机时代即将来临?
- 法语口语:Bâiller 打哈欠
- 留法实用词汇之 “时差”
- 《茶花女》中法对照第7章(法语)